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Mes regards - et ceux des autres - sur le monde d'aujourd'hui et de demain. Chroniques axées sur les mouvements de société, j'y décrypte des clichés et des actualités, mais aussi la culture...

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Par Clémence Bouquerod
23 juin · 5 mn à lire
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« Les livres LGBTQIA+ restent minoritaires » [Représentation queer dans la pop culture 1/2]

Mis à part dans les maisons d’éditions spécialisées, les livres LGBTQIA+ restent très largement sous-représentés. Pour le savoir, c’est simple ! Il suffit de regarder les rayons de votre librairie favorite, voire de demander leurs ouvrages LGBTQIA+… Malgré une nette amélioration ces dernières années, il y a encore beaucoup de travail. Interview.

Restez jusqu’à la fin pour découvrir mon nouveau format, avec mes coups de cœur et brèves d’actualité

Nous sommes au mois de juin, et le mois de juin, pour moi, c’est avant tout le mois des fiertés. Comme toute journée internationale, ce mois est utilisé pour créer de la représentation, de la visibilité. Pour que les LGBTQIA+ soient fier·es d’être qui iels sont et de le montrer. Pour connaître la véritable histoire du mois des fiertés (et, donc, par extension, de la marche des fiertés), je vous recommande l’un de mes articles dans le média Les Sherpas – oui, je fais de l’autopromo. Un problème ? 😉

En ce mois des fiertés, j’ai voulu revenir sur un sujet qui me tient à cœur : la représentation queer dans la pop culture (littéralement, « culture populaire »). Dans cette première partie, j’ai choisi de parler de la littérature – mon prisme culturel de cœur. En effet, ma personnalité, mes envies et mes ambitions m’ont beaucoup été inspirées par les nombreux livres que j’ai pu lire plus jeune. Et par nombreux livres, j’entends au moins une valise par vacances (je ne rigolais déjà pas, à l’époque). Je dirais que la littérature m’a aidée à construire la personne que je suis aujourd’hui. C’est joliment dit, non ?

Manque de représentation littéraire

Depuis mon coming-out queer, dont je vous parle dans cet article, je me suis longuement demandé si les représentations romantiques et de genre dans les livres mainstreams m’avaient influencée. Moi qui lisais beaucoup, et beaucoup de romances cisgenres-hétérosexuelles (très toxiques), pour ne rien arranger… La réponse est, sans équivoque, oui. J’en suis aujourd’hui persuadée : si j’avais lu des livres queer, et donc, dans mon cas, entendu parler de couple lesbiens plus tôt, je n’aurais probablement pas mis autant de temps à me trouver et à savoir que j’aimais aussi les femmes. Ces livres, comme tous supports de pop culture avec lesquels j’ai grandi, m’ont poussée vers la comphet. J’ai interviewé des libraires pour avoir leur avis sur le sujet.

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Comphet, néologisme anglais, mot-valise de Compulsory Heterosexuality :

- se traduit en français par « contrainte à l’hétérosexualité », « hétérosexualité compulsive » ou « hétérosexualité obligatoire ».

1. Théorie féministe queer. Évoque le fait d’être hétérosexuel·le malgré soi. Ce terme sous-entend que certaines personnes ne sont pas véritablement hétérosexuelles mais influencées, poussées par la société patriarcale et les schémas cishétérosexuels présents dans l’espace médiatique. Concernerait a priori beaucoup de femmes bisexuelles ou pansexuelles [ndlr, revoir le lexique engagé et LGBTQIA+ de Regards].

2. Terme popularisé par Adrienne Rich en 1980, dans son essai La contrainte à l’hétérosexualité et autres essais.

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Dans le prochain épisode, vous retrouverez les témoignages de jeunes queer qui ont grandi dans les années 2000. L’idée ? Savoir si, d’un point de vue non professionnel (et surtout intime), le ressenti est le même. Vous vous en doutez, nous allons aussi agrandir le prisme et parler de toute la culture mainstream… En attendant, je vous laisse avec l’interview de la librairie spécialisée (et première librairie LGBTQIA+ !) Les Mots à La Bouche. Nicolas, avec l'aide de Fenella et Kamel, nous répondent. 

L’interview

Pour commencer, pouvez-vous présenter la librairie Les Mots à la Bouche ? Quand et pour quelles raisons a-t-elle été créée ?

La librairie a été créée en 1980 par Jean-Pierre Meyer Genton. C'était la première librairie gay et lesbienne en France. Elle a été créée dans la mouvance de la visibilité des homosexuel·les des années 80. L'idée était de créer un endroit ouvert sur la rue et accueillant, à l’inverse des espaces gays dissimulés des années précédentes. Il fallait sortir du placard.

Si je comprend bien, la librairie a également été créée pour pallier un manque de représentation dans les librairies dites "traditionnelles" ?

Excatement. Les livres des auteurs et autrices LGBTQIA+ ou présentant des personnages LGBTQIA+ étaient difficiles à trouver avant internet et, quand il y en avait en librairie, ils n'étaient jamais rassemblés. il fallait les connaître pour les trouver… Ou oser demander au libraire, ce qui revenait à faire un coming out. Le but du créateur était de rassembler le maximum d'ouvrages (textes et images) abordant l'homosexualité ou présentant des personnages homosexuels - et de mettre ces œuvres en avant.

En tant que libraire, pouvez-vous nous dire s'il est plus difficile de trouver des livres LGBTQIA+ que des livres cishétéronormatifs ? Si oui, pourquoi ?

Oui, ces ouvrages restent minoritaires en comparaison à la production générale. Ils ne sont pas forcément plus difficiles à commander… Encore faut-il avoir connaissance de leur existence ! Notre travail avec les représentants des maisons d'édition est donc fondamental pour nous, afin de repérer ces ouvrages avant leur sortie. Il a donc fallu patiemment tisser des rapports de confiance avec les représentants pour faire évoluer un peu leur travail dans notre direction. À savoir, se poser la question des livres qui peuvent nous intéresser, soit parce que l'auteur·rice n'est pas hétéro-cis, soit que le livre présente des personnages non hétéro-cis.

Par ailleurs, il existe quelques maisons d'édition indépendantes (ou collections de livres au sein de maisons plus importantes) qui sont militantes sur ces questions-là, avec lesquelles nous travaillons plus fréquemment et plus particulièrement.

Qu'en était-il il y a une dizaine d’années ? Est-ce que ça a évolué dans le bon sens ?

Effectivement, il y a eu une évolution notable des 10/20 dernières années. Il y a aujourd’hui :

  • plus de titres pour enfants et de titres Young adult avec des personnages LGBTQIA+ ;

  • depuis MeeToo en 2017 : une explosion du nombre de titres en essais féministes et sur le genre ;

  • plus de titres dans de grosses maisons ;

  • la création de nouvelles maisons d'éditions spécialisées sur ces questions et/ou militantes, comme Les terrasses, Paulette (Suisse), Editions du Portrait, Collection Sorcière chez Cambourakis… Et de plus en plus d'auto-édition ;

  • MAIS la disparition de petites maisons d'éditions militantes, comme Quintes Feuilles, Textes Gais, H&O (qui existe encore mais ne sort plus de titres LGBTQIA+ alors que c'était sa spécialité), Bruno Gmunder (Allemagne), etc.

Les maisons d’éditions non-spécialisées tendent-elles à éditer quelques livres sur des thèmes LGBTQIA+ ? 

Il est difficile de répondre précisément à cette question. De notre expérience, il n’y a pas plus de 5% de titres LGBTQIA+ dans une grosse maison. Ce pourcentage a légèrement augmenté ces 20 dernières années.

Plus globalement, que pensez-vous de la représentation queer dans la pop culture littéraire ?

Si vous parlez des best sellers, des livres qui remportent des prix, des livres dont on parle à la télévision ou sur Tik Tok, quel que soit l'option choisie, je dirais que la représentation queer reste marginale et très minoritaire. Peut être que sur YouTube et sur TikTok, une légère amélioration est tout de même à noter…

Est-ce que c'est, selon vous, de meilleure qualité (représentations plus fréquentes et plus réalistes) ?

Même réponse que pour la question précédente… Le succès récent de "Heartstopper" d'Alice Oseman fera peut-être bouger un peu les choses dans le bon sens.

Pensez-vous que pour que la représentation évolue, il faudrait que ces littératures rejoignent la culture mainstream ? Ou c'est une bonne chose que la littérature queer soit une littérature spécialisée ? 

Vous tombez là sur une fracture qui dure depuis des décennies au sein des communautés LGBTQIA+. La voie de la normalisation/assimilation VS la voie de la dissidance/contestation/révolution. Chaque stratégie a ses avantages et ses inconvénients. Peut être faut-il tenter les deux en parallèle ? Pénétrer la culture mainstream, tout en sauvegardant des espaces de luttes plus radicales.

Pour finir, auriez-vous des livres à recommander pour se sentir représenté·es et/ou pour les gens qui n'y connaissent rien, au contraire ? 

Pour démarrer : 

  • La trilogie "Romance" ; "Les nouvelles vagues", "Octave" d'Arnaud Cathrine, Editions Robert Laffont

  • “Mes objectifs gays” de Jason June, ed De saxus

  • “Coming Out” d'Elise Goldfarb et Julia Layani, ed Stock

  • Les 4 tomes de “Heartstopper” d'Alice Oseman

  • “Les nuits bleues” de Ann-Fleur Multon, ed Points

Pour approfondir : 

  • “Rien à perdre” d'Hanneli Victoire, ed Stock

  • “28 jours” de L. Bigorra, ed Les terrasses

  • “Les trente noms de la nuit” de Zeyn Joukhadar, ed Rue de l'Echiquier

  • “Stone Butch Blues”, de Leslie Feinberg, ed Hystériques Associées

  • “La pensée straight” de Monique Wittig, ed Amsterdam

  • “Un bref instant de splendeur” d'Ocean Vuong, ed Folio

  • “Fiévreuses Plébéienne” d'Elodie Petit, editions du Commun

  • “Fem” de Joan Nestle, ed Hystériques Associées

Le manque de représentation LGBTQIA+ dans la littérature nous est confirmé par ces spécialistes… Et il a eu des impacts importants sur la jeunesse queer. Abonnez-vous pour lire la partie 2 de mon enquête et découvrir des témoignages - pas toujours d’accord entre eux.


Mes coup de cœur de livres LGBTQIA+, pour compléter la liste des interviewés 📚

  • “Viendra le temps du feu” de Wendy Delorme : une dystopie féministe et lesbienne, que j’ai lu et relu plusieurs fois. M’a marqué comme un livre me marque rarement. 

  • “Naissance Lesbienne” du collectif Osez le Féminisme ! : recueil de témoignages de femmes lesbiennes ou bisexuelles, qui parlent justement de l’importance de la représentation - qu’elle soit réelle ou en pop culture. 

  • “Genre Queer” de Maia Kobabe : autobiographie non-binaire sous forme de BD. Permet de mieux comprendre. Intense et cathartique. 

  • “Sortir de l’hétérosexualité”, de Juliet Douar (éditions Binge Audio, que je recommande) : essai, manifeste pour une société plus égalitaire.

  • “One Last Stop”, de Casey McQuiston : romance Young adult que j’ai particulièrement apprécié pour sa belle représentation et son histoire, parfaitement ficelé.

  • “Ils meurent tous les deux à la fin”, de Adam Silvera : livre jeunesse d’aventure très bien écrit. Le suspens nous tient jusqu’à la dernière page. 


Focus sur 5 actualités militantes du mois. Thème WTF ou good news ! 🗞️

👉 L’Estonie a légalisé le mariage pour tous·tes le 20 juin. C’est la première ex-république soviétique à le rendre légal. 

👉 Selon un rapport de l’ONU du 12 juin, «les préjugés sexistes sont profondément incrustés". Il n’y aurait pas eu d’amélioration en 10 ans.

👉 En 2011, des footballeuses suédoises auraient été forcés de se déshabiller avant le mondial. Le but ? Prouver leur genre.

👉 Quatre bancs temporaires d’allaitement ont été installés le 20 juin à Paris, pour encourager les femmes à allaiter en public. 

👉 Côté innovation, le pommeau de douche devient officiellement un sextoy grâce à "Wave", le nouveau sexto signé Womanizer

Alors, que pensez-vous de ce nouveau format ? N’hésitez pas à me faire un retour par réponse de mail ou par message sur Instagram. Merci !

À la prochaine fois pour un décryptage d’idée reçue… et à la fois d’après pour la partie 2 ! 🥳