Regards

Mes regards - et ceux des autres - sur le monde d'aujourd'hui et de demain. Chroniques axées sur les mouvements de société, j'y décrypte des clichés et des actualités, mais aussi la culture...

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Par Clémence Bouquerod
24 mai · 4 mn à lire
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Quelle est la place du coming-out en 2022 ?

Kit Connor est un jeune acteur de 18 ans, connu pour avoir joué dans une série-romance entre deux garçons. Récemment, il a dû sortir du placard sur son compte Twitter… et donc auprès du grand public. Chronique.

Après avoir entendu parler de la série Heartstopper en long, en large et en travers sur les réseaux sociaux, j’ai voulu moi aussi la regarder. On me promettait alors une histoire d’amour cul-cul entre deux lycéens, une histoire feel-good et pas prise de tête. Promesse tenue et plus encore, puisque mon coeur sensible s’est ramolli et que j’ai même versé une petite larme voire plusieurs au cours de mon bingewatching. Si j’ai apprécié, ce n’est pas pour l’histoire en elle-même (quoiqu’effectivement très mignonne), mais pour la représentation qu’elle offre. L’amour est jeune, simple et sain, le couple aussi, les questionnements et prises de paroles logiques et, pour une fois, la famille ou le coming-out ne posent pas de problème ; le harcèlement, par contre, oui… Représentation assez rare pour être remarquée par la communauté LGBTQIA+ – mais ce sera le sujet d’un prochain Regards. Les deux amoureux sont joués par Kit Connor et Joe Locke, respectivement Nick, jeune garçon populaire qui se découvre bisexuel et Charlie, jeune garçon qui subit du harcèlement scolaire parce qu’il est gay. Le problème est apparu in real life quelques mois après la diffusion de la série sur Netflix. 

Kit Connor et Joe Locke - © HeartstopperKit Connor et Joe Locke - © Heartstopper

Coming out, anglicisme, expression – expression anglaise qui peut se traduire en français par « sortir du placard ».

  1. Fait de révéler au grand public, à sa famille ou à ses proches son appartenance à la communauté LGBTQIA+ (Cf. le lexique engagé et LGBTQIA+ de « Regards »).


Queerbaiting, anglicisme, nom – mot anglais qui signifie littéralement « appât à queer ».

  1. Pratique utilisée par des scénaristes ou créateur·rices pour attirer l’attention d’un public queer qui s’est vu privé de représentation pendant des années (et aujourd’hui encore) via des allusions, des blagues et des symboles homo-érotiques suggérant une relation non-hétérosexuel ou cisgenre entre des personnages. Relation qui sera, par la suite, réfutée et dénigrée.

  2. Fait de surfer sur une soi-disant « tendance » LGBTQIA+ lorsqu’on est cisgenre et hétérosexuel·le et en tirer profit.

Harcèlement de masse, queerbaiting et coming-out forcé

Depuis septembre, Kit Connor vit du harcèlement de masse sur les réseaux sociaux. Non seulement de la part des LGBTQIA+phobes, qui ne cautionnent pas cette série – et je ne vais pas prendre le temps de revenir sur cette calamité –, mais aussi de la part de certaines personnes au sein même de la communauté. La raison ? Iels l’accusent de faire du queerbaiting. Soit, de profiter de son personnage LGBTQIA+ pour attirer des abonné·es qui se sentent représenté·es ou, pire, parce qu’il serait a priori un homme cisgenre hétérosexuel jouant un personnage bisexuel… Et ça, je dois dire que ça me brise le cœur.

Déjà, à mon sens et peu importe le problème, personne ne mérite de harcèlement de masse. Ensuite, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon d’être queer. Qui sommes-nous pour savoir ce qu’il se passe dans la vie privée et intime des gens ? Ce n’est pas parce que Kit Connor paraît hétérosexuel et cisgenre qu’il l’est réellement. Et ce n’est pas non plus parce qu’il s’affiche une fois avec une possible chérie qu’il est hétérosexuel… Avons-nous oublié l’existence des personnes bisexuelles ? Sommes-nous sûr·es qu’il ne se pose pas de question sur sa sexualité, sur son genre ? Et ce qui est encore pire, c’est que ce sont des personnes concernées qui le harcèlent. Typiquement des personnes qui devraient comprendre qu’à 18 ans, on n’a pas forcément toutes les réponses à nos questions, qu’à 18 ans, on n’a pas forcément envie de parler de sa sexualité au grand public. Suite à ces horreurs, Kit Connor a pris des décisions drastiques. Pendant un mois et demi, il a déserté le réseau social Twitter… Avant de revenir le 1er novembre 2022 avec un tweet déchirant : « Je reviens pour une minute. Je suis bi. Félicitations d’avoir forcé un jeune de 18 ans à sortir du placard. Je pense que certain·es d'entre vous ont raté le but de la série. Au revoir. »

Venons-en, donc, au coming-out. Dans le meilleur des mondes, dans un monde non-LGBTQIA+phobe, il n’existerait plus (et qu’est-ce que j’aimerais que ce soit le cas !). Mais encore aujourd’hui, en 2022, pour parfois se protéger, il est important. On ne compte pas le nombre de personnes qui doivent se faire passer pour des hétérosexuel·les cisgenres pour survivre. Un coming-out, on le fait quand on est en sécurité et à des proches bienveillant·es. Nous ne devrions à aucun moment être obligé·es de sortir du placard en public, lorsqu’on est au travail, avec des ami·es ou en famille. Si on le dit, c’est pour partager notre réalité et avant tout parce qu’on en a envie. Et dans les meilleurs cas, on n’a même plus à le faire (par exemple, dans une famille où on présente simplement notre partenaire, sans que personne ne prête attention à son genre, sans avoir à prévenir en amont).

Kit Connor et Joe Locke - © HeartstopperKit Connor et Joe Locke - © Heartstopper

Mon coming out, mon queerbaiting ?

Toute ma vie, j’ai cherché la féminité excessive. Parce que j’avais l’impression que c’est par le regard des hommes que j’étais belle et que c’était ce qu’ils cherchaient. Je suis sortie avec des hommes cisgenres, tout en étant engagée et très vindicative dans la cause LGBTQIA+. Déjà à l’époque, je me questionnais. Mais j’ai vite senti qu’on m’en voulait de me qualifier hétérosexuelle alors que j’adoptais, sans le vouloir et à force d’avoir des proches de la communauté, des codes LGBTQIA+.

Les années passant, les expériences affluant, j’ai compris que j’étais queer. Sans pouvoir vraiment mettre de mot dessus, disant parfois que j’étais bisexuelle pour qualifier mon attirance pour tous les genres et questionnant moi-même, parfois, mon genre. Si aujourd’hui je suis à l’aise avec ça, ça n’a pas toujours été le cas et, malgré mon milieu privilégié avec une famille, un travail et des ami·es ouvert·es d’esprit et bienveillant·es, je n’ai pas fait mon coming-out tout de suite. On a essayé de me forcer à le faire, gentiment, par curiosité malsaine. « Mais attend, tu couches avec des femmes ? T’es lesbienne ? Et le sexe, c’est comment ? » On a essayé de me dire que, non, j’étais hétéro-curieuse (et que ça faisait de moi une horrible personne). « Mais, tu ne sortais pas avec un mec y’a genre, 2 ans ? T’es pas queer Clémence, arrête. T’as l’air trop hétéro pour ça. » Bref, on m’a accusée de faire du queerbaiting, moi aussi. Sans parler de la biphobie et LGBTQIA+phobie des propos relevés plus haut. Car (surprise !) les personnes queer qui finissent dans des schémas hétérocisnormatif restent queer et sont parfois victimes de la pression de la société pour suivre ce schéma classique.

Aujourd’hui, je partage ma vie avec une femme et je suis fatiguée d’avoir à en rajouter pour être acceptée dans un communauté à laquelle j’appartiens, intrinsèquement. Je suis fatiguée de devoir aussi faire attention à ne pas trop en faire, de ne pas pouvoir assumer mon couple heureux de partout sans me prendre de l’homophobie en pleine face. L’équilibre est dur à trouver et je rêve d’un monde où on pourrait juste être nous-même, sans jugements, sans questions, sans avoir à se justifier constamment. Et je suis fatiguée qu’un jeune homme de 18 ans et que de nombreux·ses autres personnes se sentent obligé·es de faire leur coming-out alors qu’iels n’en ont pas envie. Et si on laissait les gens tranquille ?

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